Mythes, légendes et traditions
Pierre Brebiette
Les Héliades changées en peupliers à la mort de leur frère Phaéton Peintre et graveur, il illustre de nombreux livres entre 1630 et 1640 |
Le peuple de l’Andalousie pense que le peuplier est le plus ancien des arbres : « Hemos averiguado, dit Caballero, que el alamo blanco fué el primer arbol que hizo el Creador, que por consiguiente es el mas viejo, i que por eso està como el Adam vegetal. » Peut-être cette croyance est-elle née, dans la langue espagnole, d’une équivoque entre les mots alamo (peuplier) et Adamo. Le peuplier semble, en tous cas, avoir occupé parfois dans le sud la place mythologique réservée dans le nord au bouleau, avec lequel il offre des ressemblances. Les anciens appelaient le peuplier, non pas seulement populus graeca et populus alba, mais encore, peuplier d’Hercule, parce que les prêtres d’Hercule se couronnaient de branches de peuplier ainsi que le dieu Hercule lui-même. On disait qu’Hercule, en revenant de son voyage aux Enfers, portait une couronne de peuplier.
L’arbre pousse dans des terrains humides, près des fleuves ; Homère l’appelle achéroïde ; d’où le caractère funéraire que le peuplier, ainsi que le cyprès, avait dans l’antiquité. Dans les jeux funéraires des enfants de Rhodes, le vainqueur obtenait une couronne de peuplier, consacré spécialement aux Mânes. Quant au peuplier noir (populus nigra), dit le peuplier des Héliades, c’était aussi, de par l’origine qu’on lui attribuait, un arbre funéraire : les trois Héliades, les sœurs du héros solaire, de Phaeton, désespérées par la mort de leur frère tombé dans le fleuve, avaient été transformées en populus nigra par la miséricorde des dieux. Le populus nigra était spécialement consacré à la déesse Proserpine. Du peuplier on a fait un arbre prophétique, c’est-à-dire météorologique ; sa feuille étant sombre d’un côté et blanche de l’autre, on a vu dans la partie sombre une figure de la nuit, et dans la partie claire, une figure du jour. On raconte qu’Hercule traversant les enfers avec une couronne de peuplier, la partie de la feuille tournée vers lui était restée claire ; l’autre, tournée vers l’enfer, était devenue sombre et enfumée. Nous avons déjà vu de nombreux exemples d’arbres funéraires devenus arbres générateurs ; le peuplier est de ce nombre. Autrefois, dans la campagne de Bologne, à la naissance d’une fille, on plantait, si on le pouvait, jusqu’à mille peupliers ; et on en prenait grand soin jusqu’au mariage de la jeune fille ; alors on les coupait, et le prix de la vente était la dot de la mariée. Dans le nord, ce sont des bouleaux qu l’on plante ainsi. En Sicile, et précisément à Monterosso, près de Modica, il y a quelques années encore, la veille de la Saint-Jean, le peuple abattait le plus haut peuplier de l’endroit et le traînait par tout le village en criant : Viva lu Santu travu ! (vive la sainte poutre !). Des douzaines de villageois montaient sur le tronc pendant qu’on le promenait, en battant le tambour et la grosse caisse. Autour de ce grand peuplier, symbolisant la plus grande ascension solaire et la chute qui la suit, la foule sautait et chantait ce quatrain : Sanciuvanni, Sanciuvanni, Acchianau la costa ranni, L’acchianau senza rinari, Corpa ‘i cutieddu a li Sant Antuniari. Source : La mythologie des plantes ou les légendes du regne végétal, par Angelo De Gubernatis |
Dans la mythologie grecque, le peuplier était noir. Hercule portait une guirlande de feuille de peuplier dans son combat contre Cerbère, le gardien de l'Enfer. La sueur qui perla du front du demi-dieu changea la couleur du feuillage qui devint blanc et le resta.
La nymphe Leuké, fille de l'Océan, était convoitée par Hadès. Elle lui échappa en se métamorphosant en Peuplier blanc, qui fut considéré dès lors comme arbre de la résurrection. A la mort de la nymphe, Hadès planta des peupliers blancs en son royaume, les Champs-Élysées. Les Héliades, soeurs de Phaéton, se sont métamorphosées, pour pleurer leur frère tombé dans le Pô, en Peupliers noirs : cette fois, le Peuplier noir est l'arbre de la mort (il remplace l'if). Dans la mythologie romaine, Leuké est assimilée à Perséphone, qui passe 3 mois par an en Enfer et 9 mois sur terre. On retrouve donc cette notion de mort et résurrection.
Dans l'astrologie celtique, le peuplier manifeste "l'incertitude".
Il était une tradition de planter des peupliers, à défaut de cyprès, dans les cimetières. Le peuplier était un des arbres (avec l'aulne et l'orme) qui servait à fabriquer des gibets. Lors des journées de 1830 et 1848, en France, le Peuplier a été planté en grandes cérémonies, comme "arbre de la liberté". Son nom latin, populus, en fit l'ambassadeur du "peuple".